Entretien avec Claerhout - Van Biervliet : Architecture de demain
Dans cet entretien passionnant, nous plongeons dans l'univers créatif de Claerhout - Van Biervliet, un cabinet d'architecture à la croisée de l'innovation technologique et de l'art. Avec leur studio créatif Metamorphic Art Studio, Barbara Van Biervliet et leur fils Adriaan Claerhout repoussent les limites de l'architecture traditionnelle en développant des concepts révolutionnaires tels que la Maison Périscope.
Entre réflexion sur la durabilité et exploration des artefacts du futur, ils nous partagent leur vision unique d'une architecture en transformation constante, où lumière, espace et adaptation sont les maîtres-mots. Découvrez dans cet échange leurs inspirations, les défis techniques auxquels ils font face, et leur quête pour redéfinir l'habitat de demain.
Quelle est la relation entre votre cabinet d'architecture Claerhout - Van Biervliet et Metamorphic Art Studio ?
Notre cabinet d'architecture, Claerhout - Van Biervliet, se consacre à la conception et à la réalisation de projets architecturaux qui répondent aux besoins spécifiques et aux contextes uniques de nos clients. Nous sommes sollicités par des clients à la recherche d'un bâtiment sur mesure qui s'aligne avec leur programme et leur environnement particulier. Qu'il s'agisse d'une maison, d'un appartement, d'un refuge ou d'un bureau, nous nous efforçons de créer des espaces dotés d'une fonctionnalité organique et fluide, où la lumière et l'espace occupent une place centrale. Notre motivation première est de façonner des environnements qui inspirent l’interaction, le bonheur et le bien-être.
Metamorphic Art Studio est composé de Barbara Van Biervliet, ma femme et également architecte, de notre fils Adriaan Claerhout artiste visuel, et de moi-même. Ce studio créatif au sein du cabinet d’architecture se concentre sur le développement de concepts innovants, tels que le projet Périscope.
C’est notre conviction de longue date que les artefacts du futur auront la capacité de se métamorphoser physiquement, leur permettant ainsi de se transformer et de s'adapter.
Depuis notre introduction du concept de 'Metamorphic Architecture' en 2008, en collaboration avec Adriano Berengo, et à travers notre exposition du film 'Kinetower' et des premiers prototypes métamorphiques à Vérone, en Italie, nous avons poursuivi des solutions et des innovations guidées par les archétypes. Ces innovations ne sont pas seulement conçues, mais sont également intégrées dans des conceptions architecturales contextuelles.
Grâce au développement de nombreux prototypes transformables, y compris des luminaires des bâtiments et des œuvres d'art, nous avons identifié une relation archétypale entre les formes ouvertes et la présence de lumière et d'air. Cette relation se reflète dans nos artefacts transformables, tels que l'œuvre 'Cuts' et la lampe 'New York', qui font partie de la collection permanente du Centre Pompidou à Paris depuis 2016. Ces créations, capables d'adapter leur forme aux besoins du moment, sont comprises de manière intuitive et universelle. Elles permettent aux bâtiments de prendre vie, s'ouvrant pour accueillir la lumière et l'air lorsque cela est nécessaire, puis se refermant, à l'image d'organismes vivants.
Pouvez-vous nous expliquer le concept de base de la Maison Périscope et ce qui vous a inspiré pour ce projet ?
Périscope est une maison carrée statique avec un jardin intérieur rond en son centre, entièrement construite sous terre sur deux niveaux. Autour de la maison, deux enrobages de miroirs mobiles ont été installés. La structure supérieure des miroirs peut s'élever à la hauteur d'un étage au-dessus du niveau du sol, puis disparaître complètement dans celui-ci. La structure miroir inférieure se trouve normalement au niveau -2, mais peut également monter jusqu'au niveau -1. Les deux miroirs sont inclinés à un angle de 45°, créant ainsi un effet de périscope. En fonction de la position des miroirs les uns par rapport aux autres et des différents niveaux, le paysage environnant est réfléchi vers l'intérieur. Cela permet d'avoir une vue sur le paysage environnant depuis les niveaux -2 ou -1.
Nous habitons à Damme et travaillons à Knokke en Belgique. Le paysage flamand typique où Brel se promenait dans les années 60 pour y puiser son inspiration et composer 'Le plat pays qui est le mien’.
Lors de nombreuses promenades pendant le confinement à travers le magnifique paysage de Damme, notre fils Adriaan nous a inspirés avec la question de concevoir un concept radical pour vivre dans un tel environnement.
L'idée primordiale de se retirer et de se protéger dans un trou dans le sol est une pensée typiquement pandémique qui a stimulé notre imagination. La rareté croissante des terrains constructibles conduit souvent à la création de sous-sols énormes qui doivent abriter des fonctions essentielles de vie et de travail, mais qui souffrent généralement de l'architecture morne des sous-sols, avec un manque de lumière et de vue.
Nous sommes profondément fascinés par le défi de dissimuler discrètement un bâtiment dans un environnement naturel précieux, tout en réactivant un schéma architectural romain ou palladien pour le rendre quadridimensionnel et adaptable. Enfin, nous sommes captivés par le défi intrigant de combiner le système séculaire du périscope pour apporter lumière et vue à des espaces souterrains avec une batterie à gravité.
Nous avons tenté de réunir tous ces éléments de manière synergique. Le court métrage illustre comment un bâtiment souterrain peut prendre vie.
Quels sont les principaux défis techniques que vous avez rencontrés lors de la conception de cette maison souterraine ?
Le défi du bâtiment réside dans la fabrication des structures de miroirs mobiles. Les miroirs inférieurs montent et descendent à l'aide d'un système de levage mural vertical. Les miroirs supérieurs sont plus complexes car, dans ce projet, ils ne se composent que de deux parties pour l'ensemble du bâtiment. Chaque partie est, en d'autres termes, en forme de L et mesure environ 40 par 40 mètres de long. Ces caissons de miroirs sont remplis de terre végétale et de plantations sur le dessus.
Le défi est double :
1. Comment faire bouger les structures de miroirs de manière synchrone et fluide pour chaque point de levage;
2. Comment maximiser l'énergie de descente. Il a été décidé d'utiliser des vis à billes afin de minimiser la friction (ou l'énergie de frottement perdue) et de maximiser l'énergie restante pour qu'elle puisse être récupérée.
En plus de ces éléments, il est également envisagé de rendre le mouvement des miroirs lent et quasi silencieux.
Comment le système de miroirs mobiles fonctionne-t-il concrètement, et quels avantages offre-t-il par rapport à des fenêtres traditionnelles ?
Des systèmes d'entraînement linéaire, composés d'actionneurs et de vérins, sont utilisés pour faire monter ou descendre les miroirs.
Le vitrage de la façade est toujours présent, comme dans un bâtiment ordinaire. La structure des miroirs fonctionne comme une sorte de lunettes multifocales. Le miroir supérieur offre une vue sur le paysage environnant et dévoile également l'angle du bâtiment où se trouve la voie d'accès. Les miroirs inférieurs déterminent le niveau à partir duquel la vue est captée. Si le miroir inférieur est placé tout en bas tôt le matin, les chambres au niveau -2 bénéficient d'une vue sur le paysage. Si ce miroir est positionné un étage plus haut, la vue se déplace au niveau -1. Dans cette situation, les chambres au niveau -2 obtiennent une vue sur les plans d'eau et les jardins en contrebas.
Pouvez-vous nous parler des aspects durables de ce projet, notamment en termes d'efficacité énergétique ?
Il va sans dire qu'un bâtiment entièrement enfoui dans le sol est particulièrement bien protégé contre les différents éléments météorologiques. La température de base est déjà beaucoup plus élevée que lorsqu'on construit en surface, ce qui en fait un élément géothermique extrêmement intéressant.
Le bâtiment est équipé de nombreux panneaux solaires. Le problème qui se pose est évidemment le stockage de cette énergie captée du soleil. De grandes batteries chimiques efficaces et durables n'existent pas encore aujourd'hui. Les batteries gravitationnelles, quant à elles, sont beaucoup moins polluantes car elles sont principalement mécaniques et non chimiques. Une dynamo transforme le mouvement descendant des miroirs en électricité utilisable. Un avantage supplémentaire est que la vitesse de descente des miroirs peut être choisie. Si à un moment donné, plus d'énergie est requise, les miroirs peuvent descendre plus rapidement.
Comment avez-vous abordé la question de la ventilation et de la qualité de l'air dans un espace principalement souterrain ?
Quatre interventions spécifiques ont été réalisées dans l'architecture pour optimiser le fonctionnement de la ventilation :
1. Le patio central est un principe romain séculaire utilisé, entre autres, pour ventiler la maison.
2. La structure des miroirs est située à une distance de circulation de la façade vitrée extérieure. Dans cette zone, les deux escaliers sont intégrés. De plus, un peu de lumière zénithale pénètre déjà, créant ainsi une zone de circulation d’air.
3. Il y a quatre puits de lumière et de ventilation en profondeur, disposés symétriquement le long des deux axes orthogonaux du bâtiment. Ces puits ont été transformés trois fois en jardins cachés et une fois en extension de la piscine. Ces zones ne se révèlent que lorsque les miroirs inférieurs sont relevés.
4. De grandes ouvertures rondes sont prévues dans les miroirs inférieurs. Lorsque ces miroirs se trouvent au niveau -1 et ne permettent pas une vue sur le paysage depuis les chambres au niveau -2, ces ouvertures apportent néanmoins de la lumière et de l'air jusqu'au niveau inférieur. Ce qui est intéressant avec ces ouvertures, c'est qu'elles permettent également de placer des sculptures sur des socles dans les plans d'eau, sur lesquelles le miroir peut glisser tel un dôme de verre.
Quels matériaux avez-vous choisis pour la construction, et pourquoi ?
Le bâtiment est construit en béton armé, verre, acier corten, enduit perforé sur isolation acoustique, et bois pour toutes les menuiseries intérieures. Nous voulions absolument éviter de créer un palais des glaces. Les miroirs doivent fonctionner comme des amplificateurs d'espace et non comme des perturbateurs d'espace. Une structure de construction claire et définie ainsi qu'une palette de matériaux simple contribuent à cet objectif.
Comment ce concept pourrait-il être adapté à d'autres types de bâtiments, comme des bureaux ou des espaces publics ?
Un périscope est bidirectionnel. Depuis le sous-sol, la vue sur le paysage est projetée à l'intérieur. Mais ce qui est sous terre peut également être affiché au-dessus du sol. Des collections d'art ou de voitures peuvent être stockées sous terre et exposées au-dessus du sol lorsque souhaité. D'importantes découvertes archéologiques ou des coupes géographiques peuvent également être exposées au-dessus du sol.
Le concept de périscope est également applicable aux musées, aux sièges sociaux, aux espaces commerciaux souterrains le long des principales voies d'accès, etc. Les miroirs peuvent également être inclinables, ce qui permet de varier le champ de vision. Nous concevons actuellement un bâtiment rituel où les miroirs passent du terrestre au céleste.
Les miroirs peuvent aussi devenir des écrans et diffuser du contenu numérique. En d'autres termes, une architecture à la frontière entre le monde virtuel et le monde physique, ou, en termes platoniciens, le Périscope comme une caverne explore la différence entre la réalité et l’ombre.
Quelles ont été les réactions initiales du client et des autorités de régulation face à ce concept inhabituel ?
Le Périscope a été développé à l'initiative de Metamorphic Art Studio comme un oeuvre d’art, un concept innovant, et non à la demande d'un client spécifique. Cependant, l'intention est de réaliser le projet tel quel ou à travers une de ses déclinaisons avec un maître d’ouvrage visionnaire. C'est également la raison pour laquelle le projet a déjà été développé à un stade aussi avancé. La véritable force et l'enchantement ne prendront forme qu'au moment de sa réalisation.
Pour ceux qui ne prennent pas la peine de lire le projet dans toute sa spatialité et sa métamorphose, ce concept peut parfois sembler trop complexe, tiré par les cheveux et futuriste. D'autres, en revanche, sont enthousiasmés et comprennent que le Périscope offre avant tout de nombreuses nouvelles possibilités.
Le concept suscite aussi la curiosité des urbanistes. Les planificateurs sont intrigués par les possibilités de désenclaver des zones souterraines. Des zones naturelles plus précieuses peuvent également être développées plus facilement de cette manière.
Les architectes urbanistes souhaitent également en savoir plus. Une fois le concept compris, il devient évident que la législation urbaine ne dispose pas des outils nécessaires pour développer une vision claire et précise des permis pour ce concept. Lors des négociations menées jusqu'à présent avec les services d'urbanisme, une étude a dû démontrer que les miroirs ne causeraient pas d'éblouissement pour les véhicules circulant à grande vitesse.
La Maison Périscope s'enfonce dans la terre pour mieux voir le ciel. N'est-ce pas là une métaphore de notre quête existentielle d'équilibre entre enracinement et aspiration ?
La réalité physique est de plus en plus cannibalisée par la réalité virtuelle. Cette dernière tente de plus en plus de rivaliser avec le monde physique 'statique'. L'aspiration de Metamorphic Art Studio est de fournir un contrepoids en se concentrant sur la virtualisation de la réalité physique. D'où notre fascination pour rendre cette réalité physique quadridimensionnelle ou métamorphique à travers l'art, le design et l'architecture. Cela ouvre un nouveau monde véritablement 'dynamique'. Une architecture conçue et fonctionnant comme un organisme vivant où toutes les parties devront interagir de manière extrêmement parcimonieuse et efficace. Les outils sont déjà disponibles : l'architecture paramétrique pour concevoir une architecture de peau et d'os et, en mettant en œuvre la mécatronique, l'architecture métamorphiques pour rendre cette architecture intelligente.
C'est dans le terrain des similitudes entre les oppositions apparentes que cela devient vraiment passionnant.
10. Vos miroirs mobiles semblent danser entre deux mondes. En concevant ce projet, avez-vous eu le sentiment de créer une chorégraphie architecturale plutôt qu'une simple structure ?
Exactement. Dans le monde des artefacts métamorphiques, le designer devient un réalisateur de film. On ne pense plus uniquement en images statiques, mais en scénarios. C'est pourquoi notre manifeste du Périscope est devenu un film. Le créateur artiste ou l’architecte devient metteur en scène.
Si la Maison Périscope était un livre, quel en serait le titre ? Et si c'était une mélodie, quel instrument la jouerait ?
Un titre : L’armoire d'Alice.
Enfant, j'ai participé à la création de la sculpture de Papageno réalisée par mon père Jef, qui se trouve devant le théâtre municipal de Bruges. Depuis, La Flûte enchantée est restée l'un de mes opéras préférés. "Dies Bildnis ist bezaubernd schön" est une aria inoubliablement belle qui s'accorde parfaitement avec le Périscope : "l'image" de la réalité qui suscite des sentiments d'amour passionnel.